Entretien avec Florent Dubois

Tu viens de sortir ton livre Chipie aux éditions Réalistes. On te connaît plus pour ton travail de céramiste mais ce livre présente une partie plus intime et méconnue de ton travail, le dessin. Est-ce que les deux disciplines sont liées ? Est-ce que l’un inspire l’autre ? 

Oui, les deux disciplines sont infiniment liées mais les dessins ne sont pas des reproductions des céramiques, ni même des croquis. Il s’agit plutôt d’une grande salle de bal où tout le monde se fait des clins d’oeils. Un jeu de réminiscences et de sensations. Les dessins réagissent et s’animent en vis à vis des céramiques, ils papotent. Le dessin est un médium qui se prête particulièrement bien aux bavardages, aux associations d’idées et aux hybridations. Il n’ y a pas forcément l’idée d’un tout dans un dessin, c’est plutôt une somme de fragments que l’on assemble ou que l’on égraine, d’où je pense cette facilité, cette ouverture du dialogue entre les deux pratiques.

Dans Chipie tu utilises plusieurs techniques, la gouache , le collage, le crayon…. Associes-tu une technique à une émotion et que tu souhaites transmettre ?  

Non, quand je dessine le choix des outils vient en faisant et j’utilise parfois les outils de façon contradictoire ou discordante.

Le poudré du pastel permet de délicats dégradés que vient stopper la cerne noire du marqueur. La craie grasse rouge, fondante, devient le gros nez d’une figure clownesque dont les yeux quant à eux sont fait de hachures sèches au crayon de papier. Le blanc du papier est aussi un outil. Il induit que les figures se vident progressivement ou se trouvent remplies par ce blanc dépeuplé.

En feuilletant Chipie, j’ai de suite pensé au film E.T. l’extraterrestre de Spielberg où E.T se cache dans un placard entouré de peluches. Est-ce qu’il y une image référence qui t’inspire dans ton travail ?  

Oui, je travaille exclusivement à partir d’images. Les figures de Chipie sont issues d’un stock d’images que je constitue depuis une dizaine d’années. Ce stock comprends des images de bibelots, de babioles et évidemment de peluches et doudous. Je scroll et surfe sur internet, le bon coin, Ebay, Craigslist… je « click and collect » à la recherche d’images qui motivent un travail de dessin. Je ne saurai pas bien expliquer quand vient cette envie plastique mais un jeu de séduction s’opère entre l’image trouvée et la projection plastique que je peux y voir. Cette valeur nouvelle, celle de stimuler l’imagination, que j’ajoute à ces objets un peu oubliés (ou plutôt ces images d’objets) est importante pour moi. C’est finalement un bien drôle de rapport à la nature morte car je combine avec des objets existants. J’aime cultiver cette ambiguité entre les codes d’un dessin dit d’imagination, voir fantastique et le fait que les figures que je dessine sont réelles. J’aime cette incertitude où les petits monstres et créatures que l’on pense sortis de mon imagination sont en fait des objets réels, passés au prisme du dessin.  Matériels, factuels, mais plat et rêveurs.

Les dessins dans Chipie provoquent des sentiments et des émotions contradictoires. Pourquoi avoir choisi ce titre de livre ? 

La chipie est une drôle de figure, le mot lui même est une intrigante contraction de “chiper” et de “pie”. C’est la méchante que l’on aime adorer, la petite peste que l’on trouve mignonne. C’est la méchante qui a plaisir à agacer, à titiller. Attendrissante mais insupportable. La bêcheuse, la pimbêche… la pie-grièche. Elle est chargée d’un certain imaginaire. On se projette dans un monde de rubans, de petites poupées en porcelaine. C’est  Veruca Salt dans Charlie et la Chocolaterie de Roald Dahl (1964), Giselle de Quel amour d’enfant ! (1867) de la Comtesse de Ségur, Javotte et Anastasie dans Cendrillon (1950), Paris Hilton et Nicole Ricchie dans The Simple Life (2003), Lavinia dans Princesse Sarah (1985). Finalement, c’est une figure assez irrévérencieuse voire camp.

Après, pour les personnes qui me connaissent elles savent que cela peut aussi être un peu moi la chipie. 🙂 

Chipie, c’est mignon “malaisant”… As-tu une définition du “Cringe” ?

Je ne connaissais pas ce mot avant que Charles Ameline de Réalistes me le souffle à l’oreillette. J’ai plutôt tendance à utiliser à go-go un vocabulaire beaucoup plus dramatique comme déplaisir, malcommode, désarroi, indisposition, incommodant, désastreux…

Dans le cringe ce qui est super c’est qu’il y a vraiment l’idée de sortir une forme de son contexte d’apparition ce qui au final se rapproche d’un geste plastique. L’humour est aussi présent dans le mot cringe. C’est un petit peu comme dans un train fantôme on l’on joue à se faire peur. J’ai beaucoup lu le super-sincère texte de Julie Ackermann, Faire grimacer la pop publié dans Audimat 2023/1 (N° 18).

Je pense souvent au Popples de la Cicciolina, peluche qu’elle avait sous le bras lors de sa mythique montée des marches du festival de cannes en 1988. Chipie me fait penser à la biographie de ce jouet. Qu’est-ce que le jouet évoque pour toi ? 

J’aime beaucoup les jouets, les doudous et les peluches quand leurs sens ou leurs usages sont déplacés et que l’on bascule d’un objet naturellement associé à l’enfance à autre chose. Les enfants le font naturellement en jouant. Celles oubliées sur la table de pique nique et ou il faut faire marche arrière et rouler des heures pour la retrouver. Celle toute pitoyable car lavée par erreur à 60°c. “Weird Barbie” interprétée par Kate McKinnon dans le film Barbie de Greta Gerwig (2023) ou les jouets crées par Sid, le grand frère de Toy Story (1995) sont intéressants car hybrides et suturés, ils jouent avec ce décalage.

Dans les films Toy Story certains personnages soulèvent cette questions de qu’est-ce qu’un jouet ou plutôt qui fait jouet. Forky (Toy Story 4) se décrit comme une poubelle et non comme un jouet, Bo-Beep la bergère (Toy Story 1) est à la base un ornement de lampe, les Aliens (Toy Story 1) n’ont pas conscience d’être un jouet.

Ces jeux de définitions me rappellent deux textes de Charle Baudelaire. Le premier, Le Joujou du pauvre (Petits Poèmes en prose, Michel Lévy frères., 1869, IV. Petits Poèmes en proseLes Paradis artificiels (p. 53-54) est un texte justement très cringe qui parle des jouets. Il y décrit le joujou des riches : « (…) gisait sur l’herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d’une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries » qui est opposé au terrifiant joujou du pauvre dont voici la description : « Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c’était un rat vivant ! »

Toujours selon Baudelaire, cette fois dans un second texte nommé :  Morale du joujou, les jouets sont l’objet passeur qui qui initie les enfants à l’art et à l’imaginaire. C’est un très beau texte.

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